vendredi 11 décembre 2009

Courrier

J’avais bien senti, à la lecture de sa lettre, qu’il l’avait écrite dans un moment d’agacement, de rancœur et de méfiance. Mon intuition était telle que je me suis senti énervé, offusqué, trahi, méprisé et méprisant de tant de méprisable petitesse, et que, palpitant et nerveux, j’écrivais déjà dans ma tête une réponse hautaine, acerbe et méchante pour me venger encore plus cruellement de sa rancœur et de sa méfiance.
Mais, puisque ce que je sentais était purement intuitif, qu’aucun de ses mots n’était vraiment cruel, et que mon sentiment était peut-être injuste ou paranoïaque et peu valable, j’ai voulu faire lire sa lettre à deux personnes de confiance, qui me dirent que j’étais effectivement trop susceptible ; que rien dans la lettre n’était méchant ou agressif ; qu’elle était au contraire calme, claire et limpide, objective et sans affect ; et que j’avais tort de mettre de l’émotion là où il n’y en avait pas. Pourtant, quand il m’appela pour parler de ce courrier, il m’avoua l’avoir réécrit six fois pour tempérer sa rancœur et son agressivité, mais qu’il l’avait effectivement écrit dans un moment de doute, de lassitude et de méfiance, et qu’il savait par avance que je le prendrais mal et que cette lettre me ferait souffrir, mais qu’il avait tout de même la nécessité d’exprimer ses sentiments de la sorte pour qu’ils soient entendus.

Le plus agaçant pour moi est d’avoir senti tout cela et de n’avoir pas eu suffisamment de confiance en mon intuition première, qui était pourtant juste.

mercredi 9 décembre 2009

Crépuscules

Que faire d’un texte magnifique renié par la personne qui l’avait plus ou moins commandité ?
Ce texte, dont les rares lecteurs me parlent encore, me disant qu’ils n’ont plus retrouvé jamais dans mes écrits la même poésie, est sans doute le plus beau que j‘aie encore écrit. Mais que faire d’un texte avorté ainsi et qui reste convalescent, informe, débile (au sens classique : faible et sans force) ?
J’imagine parfois en faire une édition somptueuse, peut-être manuscrite, ou un tirage extrêmement limité et outrageusement luxueux (un papier d’Arches ivoire, avec une gravure originale, dans un emboîtage en cuir fin ?), un ouvrage de bibliophile maniaque de la rareté, pour réparer l’affront fait à ce texte et venger son honneur…

Le projet Entre chien et loup (2005-2008 avec Olivier Pique) se transforme : la Rhapsodie au crépuscule, à travers un long œuvre au noir, continue d'être en cours... (2009-2012)

Un silence isolé du monde ?

Certains m’imaginent, ici en vacances, ou isolé du monde… C’est drôle. J’ai plutôt l’impression que c’est le monde qui m’isole et qui m’oublie, qui me permet de l’oublier, et c’est assez agréable et reposant… Et, vivant avec une dizaine de personnes, dans une campagne certes silencieuse (ou presque), dans une maison régulièrement accueillante pour qui vient d’ailleurs, comment me sentirais-je isolé ? Comment parler d’isolement, de retraite, dans ce monde en réseau, en réseaux ? Comment être isolé aujourd’hui avec le courrier postal, la radio, le téléphone, Internet ?
Parlons blog. C’est un monde hallucinant – et pourtant je le connais fort peu – à géographie aléatoire, affective, sans frontière, me semble-t-il… Ce sont, partout (ici !), des livres qui s’écrivent au quotidien, aux quotidiens (ou non) de leurs auteurs : des livres qui se donnent à lire en même temps qu’ils s’écrivent. On passe de l’un à l’autre sans limite et si je rends visite à mes blogs amis : Thomas Querqy et le florilège de citations de Saint-Loup, je passe à la découverte de Nicolas Ravière et au graphisme de "J'ai flané pour vous", je passe à la photographie avec cette étrange Shooting Gallery 365, le travail de Heriberto Aguirre qui m'amène à celui d'Antoine … C’est vertigineux. Vérifiant parfois combien de lecteurs viennent me lire ici, je suis toujours surpris : qui pouvez-vous bien être ? Par où êtes-vous arrivés ici ?

Mais c’est là la magie vertigineuse de la Toile : si je fais une recherche sur le photographe espagnol Garcia-Alix, je découvre ces images...
Si je cherche des images de Malick Sidibé, je vais tomber sur les portraits d’Antoine Tempé et sur le travail de Alioune Bâ.
Si je me documente sur Brassaï, j’apprends l’existence historique du Bal des Quat’zArts et du Bal du Magic-City – ce qui me fait dire qu’on a tout de même bien perdu en liberté des corps – et du personnage incroyable de Barbette, ce qui me ramène à Man Ray…
Bref, avec Internet, ses blogs, ses images, ses textes, le monde entier ou presque est à la portée d’anonymes autodidactes.

Hélas, j’ai appris qu’un ami, après avoir tenu ce type de journal internautique qu’est le blog, pendant deux ans, l’avait supprimé. Le résultat est qu’il n’est plus en ligne mais, pour moi, cela veut dire qu’un livre a disparu : un livre inachevé qui se lisait au moment même où il se faisait a été définitivement autodafé. Et ce supplice par le feu est même plus violent, car avec la Toile, pas besoin de feu, aucun spectacle, nul espoir qu’un exemplaire soit sauvé par un bibliophile aussi résistant qu’affolé : il suffit d’un clic, il n’y eut qu’un déclic. Le vertige formidable (au sens classique du terme : redoutable) me semble devenir un cauchemar (mais peut-être les fichiers existent-ils encore quelque part ?).
Je ne pense pas qu’on ait encore pleinement conscience de la révolution que ce réseau informatif a sur le cours du monde : Internet est ce qu’on en fait. Ce qui laisse tout de même pas mal de liberté. Du moins pour l’esprit.
J’en reste flou.