India Song est un chef-d’œuvre de Marguerite Duras. Autant qu’un film : un roman – ou une pièce. India Song est un film qu’on peut regarder comme on lit un roman : on ne lit pas un roman en une seule fois. Rarement. Parfois, on s’y ennuie. On fait autre chose et on revient à la lecture d’un roman. On suit les personnages. Ils vivent devant vous.
J’ai
séduit mon dernier amant, je crois, entre autre parce que je lui ai parlé des
rapports que je fais entre la vie et la fiction, entre la littérature et la
réalité. Jean-François Billeter fait la différence entre la réalité et le
monde, entre la réalité et les mondes qu’on peut en faire, qu’on peut inventer
et créer. La littérature et le cinéma font partie de ces mondes personnels, qui
donnent forme à la réalité indistincte. India
Song est dans ce rapport-là que je fais moi aussi, entre la réalité et le monde : c’est un monde, un
film, un texte, et la fiction des personnages (Anne-Marie Stretter, Michael
Richardson, le Vice-Consul de France à Lahore), mais c’est aussi la réalité et
la vie des comédiens, celle de Delphine Seyrig en 1975. La beauté maigre et
électrique de Claude Mann et celle, une beauté un peu silencieuse, de Delphine
Seyrig, figurant Anne-Marie Stretter : cette réalité indistincte,
contingente, révolue. India Song propose un monde très beau, autour de l’Ambassade
de France à Calcutta où l’ennui et le désir travaillent chacun, où la grâce d’Anne-Marie
Stretter côtoie l’horreur de la misère et de la lèpre.
Delphine Seyrig (1975) par francomac
Delphine Seyrig (1975) par francomac
Delphine Seyrig |
L’avantage
d’un monde fictif, c’est qu’il est clos. Dans la réalité je suis perdu :
que peut-on inventer, dans la vie, avec les personnages de la réalité qui
vivent devant nous ? Ah, ce sont autant de romans qu’il faut suivre !
Autant de personnages qu’on peut jouer devant les autres, autant de vies
possibles face à eux, pour eux ! Quelles sont les règles dans ce grand jeu ?
Il semble que tout soit possible, et en même temps, c’est impossible.
Le vent est le bruit essentiel du monde. C’est peut-être une simplification.
Qui
a raison en vérité ? Marguerite Duras fait une proposition parlée,
dialoguée et imagée sans que rien soit synchrone dans un film qu’on pourrait
résumer dans cette phrase qu’elle dit :
« Et pourtant, tout le monde attend quelque chose comme ça, les Indes. »
A ces mots qu’elle dit, je fais tomber une boîte de perles. Et voilà qui en est fait : me voici à jouer à les ramasser seul devant tout le monde. Voilà tout ce que je trouve à inventer, à créer : me retrouver seul à ramasser des perles ou des petits cailloux.
« Et pourtant, tout le monde attend quelque chose comme ça, les Indes. »
A ces mots qu’elle dit, je fais tomber une boîte de perles. Et voilà qui en est fait : me voici à jouer à les ramasser seul devant tout le monde. Voilà tout ce que je trouve à inventer, à créer : me retrouver seul à ramasser des perles ou des petits cailloux.
Heureusement
on peut, avec India Song, écouter le
roman dialogué, le texte, puis y revenir pour y voir les images magnifiques :
le long hall où marchent Anne-Marie Stretter, l’attaché autrichien (pourquoi n’en
faudrait-il qu’un seul ?), Michael Richardson et Georges Crawn, puis le Vice-Consul
de France à Lahore. Ou l’image où Madame Stretter est allongée, entourée du
jeune attaché d’ambassade, de Michael Richardson et Georges Crawn, en présence
du jeune invité – le tableau sur lequel
la lumière change, comme celle du jour, puis du théâtre.
Le visage silencieux de Delphine Seyrig est somptueusement photogénique ; Mickaël Lonsdale, le Vice-Consul de Lahore, erre et disparaît, sombre ; les jeunes gens se promènent (Claude Mann, maigre, somptueux et obscur ; le lumineux Mathieu Carrière ; Didier Flamand – ils ont ce quelque chose d’électrique des comédiens de ces années-là ; le plus vieux Vernon Dobtcheff – Georges Crawn - a grande distinction) dans le désir, l’ennui et la nervosité – c’est une histoire de passion, donc de mort, représentée par le désir, l’ennui, la misère et le danger.
India Song |
Le visage silencieux de Delphine Seyrig est somptueusement photogénique ; Mickaël Lonsdale, le Vice-Consul de Lahore, erre et disparaît, sombre ; les jeunes gens se promènent (Claude Mann, maigre, somptueux et obscur ; le lumineux Mathieu Carrière ; Didier Flamand – ils ont ce quelque chose d’électrique des comédiens de ces années-là ; le plus vieux Vernon Dobtcheff – Georges Crawn - a grande distinction) dans le désir, l’ennui et la nervosité – c’est une histoire de passion, donc de mort, représentée par le désir, l’ennui, la misère et le danger.
Marguerite Duras dans les années 70 : le visage de l'auteur
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M.D. a 61 ans quand elle réalise India Song. Quand on la voit dans les entretiens de ces années- là (1975), on ne le dirait pas. Finalement on ne connait Marguerite Duras que très jeune (avant l’écriture) sur des photos où elle semble avoir toujours 15 ans, puis à travers son visage d’après, le visage de l’écrivain (à 61 ans elle a le même âge qu’à 36, juste après la guerre, quand elle publie Un Barrage contre le Pacifique), et puis ensuite, très vieille, dans les années 80. C’est comme si elle n’avait eu que trois visages, ou que sa vie se résumât à ces trois-là.
A
35 ans, j’ai l’impression d’entrer dans mon troisième visage (en espérant qu’il
n’y en ait pas que trois !). Après le visage d’enfant, jusqu’à 13 ou 15
ans, j’avais vieilli d’un coup et pris une forme asymétrique. Et j’étais encore
dans cet après il n’y a pas si longtemps. Mais c'était avant. Maintenant, il semble que ce qui se
passe soit irrémédiable aussi, et qu’il faudra
m’y faire. Aujourd’hui, c’est comme si il y avait eu un avant, et que
dorénavant ce sera après.
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