mardi 13 mai 2008

Dans ma nuit noire et profonde

La nuit, tout est nuit.

Dans cette nuit obscure, dans cette sombre noirceur, vous ne pouvez pas voir, vous tous qui avez peur. Mais je vois – bruits, parfums, éclatants au toucher – toutes les nuances ténues et pleines : je suis une phalène.

Lueur bleuâtre et givrée des prés qui crépitent, pétrifiés, sous la lune pleine. Gris, velours rebrodé, des mousses sur la pierre gris clair et dur ou bien polie et veinée.

Etincelles miroitantes du noir lisse et brillant des feuilles du houx piquant. Gris tendre du lilas, bien poudré, et de son discours d’amours parfumées. Bruissement noir des hauts sapins qui protègent l’obscure senteur à leurs pieds. Craquement gris et odorant de la feuille de chou perlée d’une goutte : diamant doux aux feux discrets. Souffle blanc de la chouette qui passe sans un bruit, se pose dans le pourpre puce de l’érable du jardin et pousse un hululement perçant, éclair sonore et rassurant dans une nuit d’enfance.

Humidité nocturne du brouillard qui fait goutter le feuille brune étincelante, recroquevillé de la forêt.

Gris, gris et gris : voilà mes couleurs. Elles plaisent moins que le gris-brun, chaud et doux, de la souris qui pousse son stupide petit cri dans vos greniers.

Pourtant, voyez mes ailes ! Gris-brun, froid et poudré, j’ai mis sur mon habit du soir trois bijoux d’onyx, un peu terni, pour rehausser les soies grises et douces de mes antennes.

Mais soudain : une brusque étincelle de lumière apparue ! Que j’aille voir cette joyeuse nuance d’un éclat inconnu ! Je vole au travers du noir très sombre et odorant des buis que j’apprécie. Et c’est sur votre lampe réconfortante que je me précipite – Joie ! – qui éclaire votre salon aux tendres soirées, soyeusement tendu sur la fenêtre ouverte.

Mais je ne vois plus, aveuglé de cette lumière dont la force éteint les couleurs ! Mes yeux brûlent, je ne vois plus rien ! Je volette, effrayée, emprisonnée par cet éclat violent ! Je convulse, perds ma poudre, me renverse… Nuit, j’agonise !

J’étais une phalène et vous m’avez brisée !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Salut Alexis !

J'ai bien aimé ce texte, qui m'a en plus appris un nouveau mot (il a fallu que je cherche phalène dans un dictionnaire...). Ca m'a rappelé une conversation avec un ancien collocataire, qui me disait qu'un ami poète "travaillait son vocabulaire" en apprenant de longues listes de mots - botaniques, sentiments, impressions, etc. Du coup, pour te remercier de nouveau mot que tu m'as appris, je t'en envoie une liste ! Rien de bien nouveau pour toi j'imagine, ce sont juste des mots qui me plaisent et qui me passent par la tête, fais-en bon usage !

chronophage
éthérée
mixomateux
jubiler
lubrique
véloce
fluide
picaresque
tétrapiloctomique / capilotracté

A bientôt !

Régis.