vendredi 27 juin 2008

Palimpsestes


J’expérimente, sur tissu, des formes de palimpsestes, sortes de «mises en page » de superposition de mots, écrits au crayon, au feutre, et brodés.
Et la broderie demande une temporalité bien différente de l’écriture, puisque le mot est écrit pour être brodé. Le trait du crayon ou le contour de la lettre seront rehaussés d’un point de fil.
Le geste de broder et le temps que cela induit permettent de se libérer des contingences, d’apaiser les tensions, de prendre patience, de laisser libre cours à ses pensées. Sur le quotidien. Sur la vie. Sur les mots que je brode.
Ce travail d’aiguille me conduit à une réflexion sur les femmes, puisque cette activité leur est traditionnellement dévolue. Il me plaît de prendre le contre pied de ce préjugé, de revendiquer mon droit à coudre et broder (comme un acte politique ?). En tous cas j’ai l’impression, bien modeste, de montrer du doigt certaines questions sexistes. Je me demande parfois si la défense de ces activités aux hommes ne tient pas à l’espace de liberté et de créativité qu’y trouvent les femmes. Tout comme les hommes qui défendent jalousement leur atelier de bricolage et tiennent à faire croire à leur épouse qu’elles « ne sauraient même pas planter un clou ». Mais cela est bien naïf et réducteur. S. m’a rappelé les exigences productives de ces activités sexuées.
Le processus de l’écriture brodée ouvre à une autre écriture, puisque l’inspiration, entravée par un geste répétitif, est à la fois ralentie et rythmée.
Ce travail "plastique", de même que la série des peintures Comme une sorte de journal intime, je ne le vois pas en rupture, mais bien dans la continuité de mon écriture. Et je commence à comprendre que mon écriture est couture, parfois apparentes, ou comme un patchwork : je sais, moi, que cette pièce de tissu vient d'un foulard de soie, tel autre d'un vieux pantalon, ceux-ci d'une robe de jardin et d'une chemise à manches longues, et celui-là, oui, le bleu, était à l'origine un boubou de basin riche cousu à Bamako.

Dakar-Bamako par Ouagadougou

Ce voyage était nécessaire pour vivre un rêve d’enfance : me trouver là sur les avenues ombragées d’une grande ville que j’imaginais déjà brûlante, où une foule colorée disparaît au loin dans la poussière ; ou bien sur une route infinie dans un paysage austère et magnifique.
L’Afrique est, en quelque sorte, présente en moi depuis longtemps. Il y avait d’abord, à la maison, la statue d’un chasseur hiératique et celle, plus petite et en ébène, d’un balafoniste aux lèvres charnues. Cette statuette excitait déjà ma curiosité : un instrument de musique inconnu, dont le son vibrant me fut révélé plus tard ; le grand boubou du musicien qui en faisait un prince, son beau visage réaliste, et ce qu’on me disait sur les griots qui racontent et font l’histoire. Le valeureux chasseur, lui, trônait en haut de la bibliothèque, son butin sur l'épaule, l'air arrogant et serein, le visage incroyable. Ces objets, avec le grand boubou de ma mère, en basin d’un bleu profond, et ses boucles d’oreilles en or, faisaient partie des souvenirs du séjour de mes parents au Mali, chez mon parrain. J’avais vu quelques diapositives, le Marché Rose, je crois, mais je savais peu de choses de ce voyage et de la vie là-bas de mon parrain et de sa famille, tout cela ayant eu lieu avant ma naissance.
J’ai l’impression que ma mère ne m’a raconté qu’une seule chose de ce séjour, qui m’est restée comme une évocation poétique, et que j’ai dû réécrire avec mes propres images et de mes propres mots : en promenade un soir dans les jardins maraîchers sur les bords du fleuve Niger, elle s’était occupé d’un enfant, assise sur une natte près d’un vieillard aveugle, pendant que la mère faisait les allers-et-retours pour aller chercher l’eau, et arroser minutieusement ses plantations. Le vieux chantonnait une mélopée et caressait l'enfant avec une feuille pour l'endormir. Et dans les mots même de ma mère, j’ai senti la plénitude de ce soir-là, la préciosité de l’eau, la fraîcheur montant de la terre arrosée, et la secrète compréhension de ces deux mamans qui ne pouvaient discuter ensemble. Je ne distingue pas bien cette image du disque de kora de Keur Moussa au Sénégal et cette harpe aigre et douce m’évoque toujours une sorte de nostalgie d’un souvenir qui n’est pas le mien.
Je me souviens aussi d’un concours de dessin organisé par une association caritative catholique, et dont le thème était la paix. Comme j’avais dû entendre dire qu’il y avait la guerre et la famine en Afrique, j’avais dessiné un soldat noir qui laissait son arme pour aider une femme aux champs. J’avais imaginé, dans cette scène naïve, que le soldat, nostalgique de son village et de ses parents, venait en aide à la femme, parce qu’il cultivait de la même façon dans son pays, et qu’il avait besoin de retrouver cette sensation-là, d’être courbé sur la terre en la travaillant à la daaba.
C’est je crois, à cette époque, que L.L. était venu dans mon école de village nous montrer les images d’une mission humanitaire, au Togo ou au Burkina Faso, je ne sais plus. Nous étions allés à la salle des Fêtes pour voir un diaporama et un film, et c’était déjà un événement en soi, se retrouver dans une salle obscure pour regarder des images. Ce sont ces images, les Noirs, les cases en banco dont la rondeur me paraissait si simplement confortable, la route rectiligne se perdant dans cette terre rouge originelle, qui sont peut-être à l’origine de mes évocations africaine. Et d’un coup, la musique, le film sur un balafoniste dont les geste virtuoses allaient trop vite pour la pellicule et n’y avait fixé que le mouvement. Les vibrations et les arpèges du balafon m’avaient ravi incroyablement.
Et l'image du superbe balafoniste est ainsi resté imprimée dans ma mémoire, figure symbolique – de quoi ?- dans ma vie.

C’est peut-être pour faire mien le beau souvenir de mère, et pour comprendre les étoffes riches de couleurs inédites, et pour rencontrer le somptueux balafoniste, et pour être brûlé dans la brousse par le vent d’Harmattan, que je suis venu au Burkina Faso. Bizarrement, quand je suis en France, il m’est quasiment impossible d’en parler. Je ne sais ce que je suis venu vivre ici, mais c’est un quotidien, et il est souvent difficile, voire inutile, de parler du quotidien.
Que dire du quotidien qui serait représentatif, sans tomber dans l’exotisme ? On est tout le temps dehors. On mange dehors, on boit le thé, on reçoit dehors. On chie et on pisse dehors. On se lave dehors. Selon, on se douche au soleil qui nous sèche, ou bien on se lave la nuit, dans le noir, parfois à la bougie.
Que raconter ?
C’est aujourd’hui qui commence : le coq de cinq heures, la poussière soulevée par Aïdara Ma qui balaye la cour, c’est cela qui me sert de réveil.
Et la journée qui finit dans la fraîcheur du barrage, au crépuscule, pour un verre en tête à tête.
Que dire ?
Que, sur le chemin de retour de Bobo-Dioulasso, une panne de car arrêta, comme souvent, tous les voyageurs à Koumbia. Je voyageais seul. Assis sur une souche, j’eus, un instant, un vertige de lumière et de chaleur, entendant rebondir la langue inconnue, et attendant dans ce temps dilaté, en me disant que je vivais mon rêve d'habiter ici un moment de ma vie.

Que raconter du quotidien ?
La joie, la parole, l’ambiance, les rencontres, les amis, la danse et le soleil brûlant. Oui, j’y ai appris tout ça.

2006-2008

jeudi 26 juin 2008

De l'ordre des choses

Se pose la question de l'ordre des textes publiés ici, ou de leur désordre.
Cela me fait souci ces temps-ci, et m'empêche d'en livrer plus, alors que c'est l'exercice même du blog : cette lecture à sens multiples, sans ordre.
Alors que j'ai actuellement un problème avec la narration, la chronologie, la succession, et que je crois être incapable d'écrire une nouvelle de ce fait même, je voudrais que ce blog soit chronologique. Et que c'est heureusement impossible.
Suivront donc, si j'en ai le courage, de nouveaux textes, des choses anciennes, des chronologies désordonnées, des exercices, dont je ne saurais définir la hiérarchie.

lundi 16 juin 2008

Masques

Tu poses
Et tu crois ce faisant te cacher
Sans masque

Léger et fou
Tu divagues
Crois-tu faire sentir
La transparence

Survole
Verront-ils

La profondeur

Ah
Que tu les enlèves tous
Restera encore ta peau
Une frontière aux autres
Formidable


Alexis Garandeau

lundi 9 juin 2008

Extrait du Registre de résidence

Semaine 9 (du 26 mai au 1er juin)
Apéro-réunion au Brise Glace, présentations, rencontre avec le collectif, spontanéité, enjeux… Prise de conscience de ces énergies. Bouleversements dès le lendemain. Décision favorable du collectif pour la reconduction des résidences invitations : Echelle 5 se transforme en échelle 7, sur le nombre de mois disponibles depuis janvier.
Regain d’énergie, reprise des séances de lecture et recherches à la bibliothèque.
L’Isère est grosse et monstrueuse des pluies continuelles. Longue promenade en vélo pour tenter d’inspirer l’énergie du flot et s’apaiser du fort mélange air et eau.
Je prends résolument mes habitudes à la boulangerie de la rue Saint-Laurent où le patron distrait me sourit gentiment.
Réflexions à vide sir Fleurs, Jardins et Poèmes en tous sens. Accumulation d’Instantanés et travail sur le hors champ.
Nouvelles idées pour poursuivre le travail Comme une sorte de journal intime, série de peintures initialement exposées au Hangar 11, à Ouagadougou.
Rencontre avec Michel et le groupe pour le projet évoqué la semaine dernière.
Dans l’ensemble, des rencontres et de l’exotisme qui viennent me distraire, sinon me soutenir.

Semaine 10 (du 2 au 8 juin)
Dixième semaine de résidence.
Clair besoin de lecteurs, de critiques, de retour.
Mais problème de la restitution : que restituer de mes bouts de textes et petits travaux ?
Les choses se font par étapes, plutôt aléatoires et imprévisibles. Alors que je demandais via le blog, des commentaires à mes lecteurs (cf. Bonjour), dans un travail tourné vers l’extérieur (projet danse-musique), j’étais moi-même dans un silence d’écriture. Mais même sans écrire avec un stylo sur du papier (et encore, cela est faux), j’étais en travail sur l’écriture elle-même, sans réponse et presque suffocant : écrire n’est pas difficile, la question est écrire quoi. Et de là : comment écrire ? à qui écrire ? pourquoi écrire et écrire pour qui ?
D’où mon besoin de sentir les lecteurs et lectrices.
À cette étape, j’ai besoin d’une pause.
Et j’ai nécessité de poser des objets devant moi : quelques textes demandent une mise en forme. Besoin de restitution et d’objets.
Toujours dans la problématique de la forme, j’écris ces temps-ci sur de grands formats, j’ai envie de travailler sur tissu, espérant, mais doutant, qu’interviennent d’autres formes d’écriture.
Mais peut-être ce désir d’objets-formes extérieurs est-il une fausse piste à la question de l’objet de l’écriture même ?
Cette élision est du moins la seule forme acceptable que je sois en mesure de donner.

lundi 2 juin 2008

Extrait de Fruits (titre provisoire)

J’aimerais vieillir comme une chataîgne :
me déssécher tout en gardant une enveloppe intacte, belle et luisante. Et puis, je ne sais pas, il se passerait un truc dans la vie qui m’échauderait, qui m’ébouillanterait d’un coup. Et épanoui et plein, cuit à point pour la saveur, d’une seule bouchée, je me ferais manger !