vendredi 27 juin 2008

Dakar-Bamako par Ouagadougou

Ce voyage était nécessaire pour vivre un rêve d’enfance : me trouver là sur les avenues ombragées d’une grande ville que j’imaginais déjà brûlante, où une foule colorée disparaît au loin dans la poussière ; ou bien sur une route infinie dans un paysage austère et magnifique.
L’Afrique est, en quelque sorte, présente en moi depuis longtemps. Il y avait d’abord, à la maison, la statue d’un chasseur hiératique et celle, plus petite et en ébène, d’un balafoniste aux lèvres charnues. Cette statuette excitait déjà ma curiosité : un instrument de musique inconnu, dont le son vibrant me fut révélé plus tard ; le grand boubou du musicien qui en faisait un prince, son beau visage réaliste, et ce qu’on me disait sur les griots qui racontent et font l’histoire. Le valeureux chasseur, lui, trônait en haut de la bibliothèque, son butin sur l'épaule, l'air arrogant et serein, le visage incroyable. Ces objets, avec le grand boubou de ma mère, en basin d’un bleu profond, et ses boucles d’oreilles en or, faisaient partie des souvenirs du séjour de mes parents au Mali, chez mon parrain. J’avais vu quelques diapositives, le Marché Rose, je crois, mais je savais peu de choses de ce voyage et de la vie là-bas de mon parrain et de sa famille, tout cela ayant eu lieu avant ma naissance.
J’ai l’impression que ma mère ne m’a raconté qu’une seule chose de ce séjour, qui m’est restée comme une évocation poétique, et que j’ai dû réécrire avec mes propres images et de mes propres mots : en promenade un soir dans les jardins maraîchers sur les bords du fleuve Niger, elle s’était occupé d’un enfant, assise sur une natte près d’un vieillard aveugle, pendant que la mère faisait les allers-et-retours pour aller chercher l’eau, et arroser minutieusement ses plantations. Le vieux chantonnait une mélopée et caressait l'enfant avec une feuille pour l'endormir. Et dans les mots même de ma mère, j’ai senti la plénitude de ce soir-là, la préciosité de l’eau, la fraîcheur montant de la terre arrosée, et la secrète compréhension de ces deux mamans qui ne pouvaient discuter ensemble. Je ne distingue pas bien cette image du disque de kora de Keur Moussa au Sénégal et cette harpe aigre et douce m’évoque toujours une sorte de nostalgie d’un souvenir qui n’est pas le mien.
Je me souviens aussi d’un concours de dessin organisé par une association caritative catholique, et dont le thème était la paix. Comme j’avais dû entendre dire qu’il y avait la guerre et la famine en Afrique, j’avais dessiné un soldat noir qui laissait son arme pour aider une femme aux champs. J’avais imaginé, dans cette scène naïve, que le soldat, nostalgique de son village et de ses parents, venait en aide à la femme, parce qu’il cultivait de la même façon dans son pays, et qu’il avait besoin de retrouver cette sensation-là, d’être courbé sur la terre en la travaillant à la daaba.
C’est je crois, à cette époque, que L.L. était venu dans mon école de village nous montrer les images d’une mission humanitaire, au Togo ou au Burkina Faso, je ne sais plus. Nous étions allés à la salle des Fêtes pour voir un diaporama et un film, et c’était déjà un événement en soi, se retrouver dans une salle obscure pour regarder des images. Ce sont ces images, les Noirs, les cases en banco dont la rondeur me paraissait si simplement confortable, la route rectiligne se perdant dans cette terre rouge originelle, qui sont peut-être à l’origine de mes évocations africaine. Et d’un coup, la musique, le film sur un balafoniste dont les geste virtuoses allaient trop vite pour la pellicule et n’y avait fixé que le mouvement. Les vibrations et les arpèges du balafon m’avaient ravi incroyablement.
Et l'image du superbe balafoniste est ainsi resté imprimée dans ma mémoire, figure symbolique – de quoi ?- dans ma vie.

C’est peut-être pour faire mien le beau souvenir de mère, et pour comprendre les étoffes riches de couleurs inédites, et pour rencontrer le somptueux balafoniste, et pour être brûlé dans la brousse par le vent d’Harmattan, que je suis venu au Burkina Faso. Bizarrement, quand je suis en France, il m’est quasiment impossible d’en parler. Je ne sais ce que je suis venu vivre ici, mais c’est un quotidien, et il est souvent difficile, voire inutile, de parler du quotidien.
Que dire du quotidien qui serait représentatif, sans tomber dans l’exotisme ? On est tout le temps dehors. On mange dehors, on boit le thé, on reçoit dehors. On chie et on pisse dehors. On se lave dehors. Selon, on se douche au soleil qui nous sèche, ou bien on se lave la nuit, dans le noir, parfois à la bougie.
Que raconter ?
C’est aujourd’hui qui commence : le coq de cinq heures, la poussière soulevée par Aïdara Ma qui balaye la cour, c’est cela qui me sert de réveil.
Et la journée qui finit dans la fraîcheur du barrage, au crépuscule, pour un verre en tête à tête.
Que dire ?
Que, sur le chemin de retour de Bobo-Dioulasso, une panne de car arrêta, comme souvent, tous les voyageurs à Koumbia. Je voyageais seul. Assis sur une souche, j’eus, un instant, un vertige de lumière et de chaleur, entendant rebondir la langue inconnue, et attendant dans ce temps dilaté, en me disant que je vivais mon rêve d'habiter ici un moment de ma vie.

Que raconter du quotidien ?
La joie, la parole, l’ambiance, les rencontres, les amis, la danse et le soleil brûlant. Oui, j’y ai appris tout ça.

2006-2008

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