lundi 24 août 2009

Le Drame

Daniel Mendelsohn, dans L’Étreinte fugitive (Éd. Flammarion) :

Il y a tant de tragédies dont les protagonistes sont extraordinairement jeunes. (…) Tous, pour l’essentiel, sont des adolescents. L’extrême jeunesse de ces héros et l’âge plus mûr des adversaires qui cherchent à contrecarrer leurs desseins indiquent qu’un autre conflit sous-tend la géométrie complexe, dans la tragédie, des principes, de l’action et de l’autodestruction : le conflit entre l’absolutisme féroce de la jeunesse et les compromis nécessaires de la maturité. C’est de la beauté de la jeunesse sacrifiée que nous nous souvenons en sortant du théâtre, la beauté de ceux pour qui il n’y avait au bout du compte pas d’autre possibilité que la mort, que le renoncement à la vie pour son contraire. Le compromis ne peut être tragique ; il ne laisse rien derrière lui dont on puisse se souvenir.

(…) Nous allons voir des tragédies parce que nous avons honte de nos compromis, parce que nous trouvons dans la tragédie la beauté pure de l’absolu, une beauté qu’on ne peut avoir si on choisit de vivre. On ne peut faire une tragédie de la survie. On ne peut écrire une tragédie sur Ismène [comme on en a écrit sur sa sœur Antigone].


Voilà bien le drame : c’est qu’en vieillissant, il faut trouver un compromis ; il faut renoncer, ou du moins nuancer, ses idéaux de jeunesse si l’on choisit de continuer à vivre. Si l’on choisit la vie, il faut se résigner à vieillir et à écrire un drame* plutôt qu’une tragédie. Un drame où les dernières voix seront celles de nos survivants, et non plus une tragédie où le dernier monologue, sublime et effroyable, serait le nôtre avant de mourir. Le choix est d’autant plus difficile, quand on ne sait pas qui des survivants prendra la parole après notre fin.


* Il me semble que le drame, basé sur des histoires interpersonnelles d’amour, de jalousie, de ressentiment, de pouvoir et de survie, soit souvent domestique, familial et « bourgeois ». Le tragique y découle de la réalité humaine, et non plus, comme dans la tragédie, du destin ou dune fatalité. La tragédie, elle, mêle point de vue personnel et politique, sacrifice à son idéal, action et autodestruction : Antigone, faisant le choix personnel d’obéir aux lois du sang, se met en résistance contre les lois de la cité, et son choix devient politique. La tragédie est aristocratique (étymologiquement, aristocratie : le pouvoir aux mains d’une élite, la
chevalerie, la noblesse) car ces jeunes se sacrifient pour de nobles idéaux, parce qu’ils ont un idéal et qu’ils combattent en élite des ennemis qui
contrecarrent leurs desseins
. Le drame ne propose pas d’idéal, ou plutôt il est la somme d’idéaux personnels qui entrent en conflit, mais dont ne peut pas dire que certains soient purs et d’autres mauvais : ils sont tous humains, simplement trop humains, et donc moins idéaux.

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