lundi 17 août 2009

La Loire (3)

Évidemment, c’était folie de partir sur un coup de tête en direction de La Rochelle sans avoir de nouvelle de G. Et sans savoir, donc, si j’étais le bienvenu. Suis presque à Roanne, il est presque 16 heures et je n’ai pas fait un tiers du trajet. Toujours pas de nouvelle de G. Je ne sais pas ce que je vais faire.



Évidemment, quand on est dans une période où l’on fait tout foirer, il est normal qu’une escapade vers l’Océan tombe à l’eau, que cette envie subite d’y aller, de voir l’Océan et mes amis, soit vouée à l’échec. J’avais déjà, sans le vouloir, tout mis en place pour une grave dispute avec mon meilleur ami ; j’avais raté ma coupe de cheveux en les coupant moi-même, et j’avais fini par tout raser ; j’avais encore perdu l’occasion, à la troisième fois que je le croisais par hasard, de prendre le numéro de téléphone d’un garçon que j’aurais aimé revoir ; et, sans logement à la fin du mois, je ne faisais rien pour en trouver, ou plutôt je gâchais toutes les occasions qui m’étaient données. Alors cette décision sur un coup de tête n’était qu’une folle bêtise de plus : traverser la France dans sa largeur pour honorer l’invitation de deux hôtes très charmants, à laquelle je n’avais d’abord pas donné suite, faute d’argent et par angoisse de perdre trois journées de travail, et me rendre compte, non seulement que je ne travaillais pas, mais encore que j’avais très envie de la grâce offerte par ces garçons. Malgré un appel avant de partir, puis un deuxième message laissé sur la route, il me fut impossible de joindre mes amis, et je me sentis obligé de décider qu’il valait mieux m’arrêter aux 200 kilomètres que je venais de faire, plutôt que d’aller jusqu’à La Rochelle sans savoir si on pouvait toujours m’accueillir.

J’ai donc bifurqué pour aller me baigner dans un lac artificiel, un barrage sur la Loire. Je n’avais réussi, dans ma stupide aventure, qu’à prendre un coup de soleil sur l’épaule gauche et l’avant-bras, du côté de la portière – la chose que je trouve la plus ridicule qui soit. Et j’étais donc revenu, « par hasard », vers la Loire.

J’ai pris une chambre dans un hôtel, type pension de gare de sous-préfecture ; je me suis douché et j’ai soigné mon coup de soleil (sur le nez aussi, histoire de parfaire le ridicule) ; j’ai mis ce que j’avais de plus présentable (un T-shirt froissé) et je suis allé dîner seul. Quitte à être dans une stupide aventure solitaire, autant l’assumer jusqu’au bout. J’étais assis à côté d’une dame (divorcée ?) et d’un jeune homme que j’ai supposé être son fils, qui lui faisait la conversation avec une courtoisie distante, comme j’aurais pu parler à une collègue avec qui je ne serais pas intime. En face de moi, un homme seul qui a pris un menu et une bouteille entière de rosé, qui parlait seul évidemment – je n’en suis pas à ce point du tragique : laisser perdre mots et phrases pour n’avoir personne à qui les donner. Mais presque.

Après avoir bu le café, j’observai un moucheron dans la sous-tasse, dont une patte était peut-être abîmée, qui peinait à faire vainement le tour de la tasse – j’ai cru me voir moi-même.



Et puis, je suis allé voir la Loire. Elle est ici lisse et calme comme un lac peu large. Même les nuages les plus légers, aux nuances les plus subtiles, s’y reflètent parfaitement. La ville aussi, qui se découpe dans le ciel couchant comme une ombre chinoise sans caractéristique. Le pont de Loire est moderne et de grosses araignées y tissent leurs toiles ; c’est l’époque où elles sont nombreuses, au point qu’on ne peut pas s’accouder à la balustrade métallique.

Roanne est une ville sans prétention, mais aux coquetteries d’une petite-bourgeoise : une Chambre du Commerce girondement cossue et pansue, un Petit Théâtre élégant, un Hôtel de Ville d’une raideur obséquieuse et compassée (suspecte ?), un Square “des Promenades Populle” aux inévitables platanes mais avec un bel escalier à double révolution et un kiosque à musique fantaisiste et charmant.

C’est une ville qui paraît être en ruses et faux-semblants de théâtre : dans les rues piétonnes, les corniches XIXe sont jolies, mais semblent n’être que des façades de décor ; dans la ville haute, les trompe-l’œil peints sur les murs sont joyeux, mais les cyprès devant le Tribunal semblent n’en être qu’un de plus, sur cette façade austère mais ocre, essayant de ressembler à quelque chose de méditerranéen. Et la Loire elle-même y est lisse et sage, domestiquée, sans odeur. Rien qui ne puisse me rappeler la rivière sauvage de l’enfance et le fleuve aux amours interdites. Le fleuve lui-même me faisait défaut et je me sentis très seul.



Le lendemain, rentré dans ce qui est ma maison pour quelques jours encore, je recevais, en rallumant le téléphone, un message de G. qui se faisait du souci, m’avait laissé maints messages sur un ancien numéro, et m’assurait qu’il serait très heureux de me voir arriver…


Voir aussi La Loire (1) et La Loire (2)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Alexis, c'est, en tout cas, un billet magnifique.
Ce qui, déjà, te différencie du pauvre moucheron qui rampe sur la soucoupe!
Et, de toute façon, vouloir traverser la France dans sa largeur est folie.
Allez, à bientôt
Cyril