jeudi 13 mars 2008

Un lieu comme ça

Là-bas, il faut y aller. Je veux dire qu’on n’y arrive pas par hasard. Ou peut-être, mais pas alors souvent, comme on arriverait par hasard dans une impasse : il faut quand même le faire.

Là-bas, quand on arrive, on passe ne-serait-ce que dix minutes dans la cuisine. Pour parler, ou boire une tasse de thé. Ou pour rien, juste savoir qu’on est arrivé.

Là-bas, on vit chacun sa vie. Mais on les vit ensemble et il faut faire aussi avec celle des autres.

Là-bas, on a chacun une chambre. Et quand on rentre dans l’une d’entre elles, on dit : Je vais chez Sylvain, ou chez Régis.

Là-bas, interdiction de déclamer, débattre ou crier. Sauf quand on appelle quelqu’un à l’autre étage, mais alors pas trop fort. On se doit de rester calme et de se rappeler qui on est : la tragédie est impossible. C'en est parfois dramatique. On mange à heures fixes et pas le droit de faire attendre ! On réserve ce privilège à une seule personne, parce qu’elle n’a jamais pu faire autrement.

Là-bas, l’escalier craque, les portes ferment mal, les volets claquent si on ne les accroche pas, le vent siffle dans les cheminées et fermer sa fenêtre devient quelquefois une bataille.

Là-bas, il fait beau dans toutes les saisons. Le jardin évolue et s’adapte, toujours magnifique. En été, il faut lire sur le fauteuil que forment les racines du vieux charme. En hiver, on peut laisser ses empreintes dans l’herbe gelée qui craque. Le printemps n’existe pas vraiment, à part la gadoue dans laquelle on patauge et dans l’herbe qui pousse plus vite. Ensuite, on sait que l’été revient quand les pivoines font penser à la peau d’un jeune homme très beau, veloutée. Pendant l’automne, là-bas, on prend beaucoup de temps pour regarder les couleurs qui virent. Jusqu’à disparition. Du temps.

Là-bas, la teneur du temps diffère. On touche presque sa texture, son grain de sablier qui coule inlassablement. Sa matière apaise et sa fuite silencieuse repose.

On pourrait voir, j’en suis sûr, cet endroit dans un conte de fées. D’ailleurs, là-bas, je dors très bien, dans un lit très haut, comme celui de la Princesse au Petit Pois.

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