Voilà une semaine que je suis en résidence au Brise Glace à Grenoble.
J’y dispose donc d’une pièce d’une vingtaine de mètres carré, aux murs blancs, donnant – comme l’atelier d’un peintre – au Nord et sur les montagnes. Cette chambre fait partie d’un « appartement », chauffé par un poêle, ainsi qu’un salon-cuisine commun, la chambre de S. et l’atelier de D.
« Ma » pièce comporte des placards à 8 casiers, étrangement et inaccessiblement hauts (il est vrai que je suis petit), des étagères et une commode ; un lit, un petit meuble roulant, un immense et lourd miroir, un meuble-bibliothèque, surmonté d’un casier blanc et jaune à portes coulissantes, une échelle bleue ; un bureau en formica d’un design aussi spatial que génial, assez typique, je pense, des années 70 ; une chaise, une lampe qui ressemble à un aéronef, et un matelas en plus, qui me servira de sofa et sur lequel je m’essaierai à écrire en y posant une planche soutenue par deux traverses en bois, trouvées sous le sommier.
Pour écrire, je dispose d’un stock de Bic à mines rétractables, noirs, ceux que je préfère, et d’un stylo-plume en plastique noir et violet (premier prix). Il se trouve que j’ai dû acheter un nouveau livre de brouillon, de couleur rouille, puisque le précédent, gris, est rempli. J’ai commandé un « registre » chez la relieuse de la rue de l’Abbé de La Salle, de forme oblongue, de 32 pages, à couverture verte et rouge et à reliure rouge pompier, dans lequel je noterai, comme dans un carnet de santé, l’évolution de ma scriptopathologie ou de ma graphomanie.
Le Brise Glace est un bâtiment énorme, sur quatre niveaux, plus la cave. Ouvert il y a plus de 15 ans (occupation illégale), il comporte une quinzaine d’ateliers (peintres, graveur, plasticiens, musiciens, architectes…) et plusieurs « appartements » d’habitation. C’est comme une fabrique, un peu monstrueuse, évolutive, et c’est très étrange de voir et de sentir tous ces gens qui passent, qui travaillent, qui expérimentent et qui créent. Le collectif Ici Même (http://www.icimeme.org/), célèbre pour ses performances dans l’urbain et pour son questionnement sur le rapport à l’espace publique et l’espace privé, y a ses ateliers, de même que la 10section, groupe d’architectes. Des ateliers personnels, dont celui de la peintre et plasticienne Louise Catherine Drève, qui m’a invité. Le Brise-Glace s’est voulu "lieu d'échange et d'émulation" entre différentes pratiques artistiques, un lieu de "circulation d'idées" (un compte rendu de l’an 2000 : « L'objectif du Brise-Glace : créer un lieu de vie et de travail, de rencontres et d'échanges, où matériaux et savoirs-faire fabriquent de l'en-commun, une de ces friches qui transforment en liberté la nécessité d'articuler espace et création. Quatre ans après, l'objectif est atteint: cinq logements, seize ateliers, labo-photo, atelier de sérigraphie, cent résidences d'artistes, des fertilisations croisées entre arts et spectacles vivants. » Depuis, le lieu est en baisse d'activité et en reformulation de ses projets, du fait, en partie, de la menace d'expulsion).
Ecrire, c’est être seul, et je vis en effet une étrange solitude. Le Brise-Glace, bien que proche du centre et tout près du quartier Saint-Bruno, est en marge de la ville et de ses institutions. C’est un espace de liberté créatrice. J’y suis au calme, entouré d’artistes qui travaillent, et même si je ne les connais pas tous et que je ne croise que peu, j’y trouve une émulation. J’y trouve retraite. Ce m’est même un refuge. Comme une Arche de Noé dans le fracas du monde. Je commence à me mettre dans un état de vacuité, que j’espère propice à l’écriture.
Et j’écris. Je réfléchis. Je me nourris (expositions, lectures, bibliothèque, conférences, quelques spectacles, de la danse surtout). J’avance, quand bien même je n’en suis pas à une réelle production.
Peut-être même n’y aura-t-il pas de production ; cette idée avance, m’aide à faire le deuil d’un livre qui ne s’écriera peut-être pas. L’essentiel n’est pas là : ce sera une expérience qui compte. Je vis ce que j’ai désiré : passer un temps à écrire, un temps libre et disponible que j'ai créé pour ça, et le passer, ce temps, dans un atelier artistique collectif.
Rien qu’une saison. Toute une saison.
Je me rends compte que la fréquentation des livres, que ce soit dans les librairies ou les bibliothèques, me stimule énormément. Un titre, un mot, une image fait office d’interrupteur pour une minuterie, une petite mécanique de l’esprit qui fonctionne et opère. J’ai même l’impression d’entendre les bruits des rouages, leviers et poulies dans ma tête : tic tac toc, ding, ding ! Voilà trois mots, une phrase, un ou deux versets qui se déposent à la « sortie » de ma cervelle !
Le charme ou le sort opère, entêtant, mécanique infinie ; et si j’ai souvent l’air absent, je me sens, au contraire, tout contre les choses ; ça parle, continûment ; ça écrit, souvent, souvent sans papier ni stylo.
Mais comment déverrouiller l’espace du dedans ? (Laure Adler dans Les femmes qui écrivent vivent dangereusement)
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